Des identité(s) du Design

J’ai rédigé pour le site Gosh.fr un papier à propos des Designer’s Days, qui se sont tenus du 31 mai au 4 juin dernier, à Paris et à Pantin. Pour ce faire, j’avais décidé de me concentrer uniquement sur un des 90 événements du parcours, une exposition dont la thématique avait titillé mon esprit : « Mixité » à l’Ecole Bleue. J’ai donc réalisé une interview des deux designers ayant encadré le projet des étudiants. Cela m’a permis aussi de leur demander leur avis sur la thématique choisie cette année par l’Association : Identité(s). « Parler d’identité(s), au pluriel, c’est admettre la complexité, les paradoxes, la richesse d’un individu, d’un objet, d’une marque. »

S’il peut nous sembler évident que l’identité nous ramène au patrimoine culturel des participants, faisant écho à leurs racines, leur histoire, leurs sources d’inspiration, il ne faut pas pour autant occulter que le pluriel nous rappelle également que le designer n’est pas le seul détenteur identitaire : si l’on sait d’où l’on vient, on ne connaît pas à l’avance des directions à prendre, notamment au travers de la production et du temps. Identité(s), c’est finalement une somme, entre le designer, la marque, et l’acquéreur, qui va s’identifier dans l’objet pour lui donner du sens.

Cela peut être une esquisse de réponse aux critiques qui pleuvent sur l’aspect de plus en plus élitiste du Design, cette discipline «boboïsée », qui se réclame de l’Art. Non, le Design ne se cantonne pas à la starification de certains de ses acteurs. Non, le Design ne se définit pas uniquement dans une vocation décoratrice, surtout pas, bien au contraire.

La période actuelle est difficile, et les temps de crise sont des périodes propices aux replis identitaires. Savoir qui l’on est, d’où l’on vient, pour mieux appréhender le futur. Repartir à l’essence des choses, à ce que l’on sait, au savoir-faire, plutôt que d’errer dans l’inconnu. Le Design n’échappe pas à la règle, et l’objectif des Designer’s Days a aussi été de rappeler que la définition – toujours délicate – du Design est loin d’être celle que l’on voit régulièrement véhiculée dans les magazines.

Julien et William partagent ce constat :

« Ce thème est symptomatique de notre époque. Déjà, je ne suis pas sûr qu’il y ait vraiment un lien de cause à effet mais une période d’élection est une période où les individualités et les appartenances s’affirment davantage. Nous avons beaucoup entendu parler d’identité ces derniers temps… De manière positive ou non.
En terme de Design, on y voit une envie de mettre en avant ce qu’il y a derrière les objets (les designers, les entreprises, les artisans, etc.). Nous aimerions aussi que cela veuille dire « parler de ceux pour qui on dessine les objets, ceux qui vont les utiliser réellement ». Pour résumer, au phénomène de « starification » bien connu dans le milieu du design, nous préférons voir dans cette thématique le souhait d’un retour aux sources, d’un retour à l’Homme et sa vie en communauté. »

En bémol, je dirais que les Designer’s Days sont tombé dans un piège en mettant en avant le crochet du parcours à Pantin. En éclairant les aspects « jeune création », « liens avec l’Artisanat » – qui plus est en banlieue, plus que de montrer que le Design n’est pas réservé à une élite, et qu’il n’est pas que décoration hype, l’association a, me semble-t-il, donné inconsciemment une image de bonne action avouée, confortant ainsi un peu plus l’image de l’existence d’un Design parisien bobo, et d’un Design secondaire, que l’on daigne souligner, là où son objectif, en toute bonne foi, devait être de montrer l’existence d’un seul Design, multiple, à plusieurs identités, comme l’évoquent nos deux designers :

« Chaque designer défini ses propres frontières et les nôtres ne cessent de s’étendre, de se flouter pour notre plus grand plaisir. Selon nous, chaque designer est un explorateur. Le monde et toute sa complexité sont son terrain de jeu. Il a une vie pour tenter d’en faire le tour.

On essaie souvent d’enfermer le design alors qu’il n’a qu’une seule envie, infiltrer chaque aspect de la vie.

Parler de design « tout court » est courant en France. Dans d’autres pays, ce terme n’est jamais utilisé seul. On parle de Design objet, Design graphique, Design d’interaction, Design d’espace, Design de service… C’est une méthodologie qui s’applique au projet, peu importe lequel.

Dans ce sens, il y a la partie immergée de l’Iceberg : Un certain design qui a une très forte visibilité auprès d’un public de plus en plus friand de décoration à travers les magazines et les émissions.
L’autre partie, plus méconnue, est souvent bien loin de toute notion de décoration. Les domaines d’interventions sont très riches, extrêmement variés et souvent inattendus.
On pourrait simplement déplorer qu’on ne parle toujours pas assez d’une certaine face, pourtant passionnante de ce métier. Cela évolue doucement mais sûrement. ».

De grâce ! N’oublions pas les innovations industrielles, les réflexions sur la matière, les formes, les réinterprétations des objets et des usages du quotidien ! N’oublions pas que le design peut (doit) viser l’ergonomie, l’économie, et non pas seulement l’esthétique. C’est ce que nous ont prouvé Julien Benayoun et William Boujon de Bold-Design, en rappelant aux étudiants de l’Ecole Bleue que, décidemment, la discipline avait de beaux jours devant elle, si tant est que l’on reprenne le goût de la découverte, de la redécouverte, de l’exploration, partout où le Design peut enfin devenir lui-même, c’est-à-dire utile.

 

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