Lettre à Saigon, par Pénélope Boeuf

Tu n’es plus le même. Tu es différent.

Tu te métamorphoses lentement…mais à une vitesse…Tu es encore moins typique qu’auparavant, mais qu’est ce que tu t’ Américanises!

Je te trouve moins de charme, tu es moins poétique, moins déstabilisant, moins excessif.

Tes petites échoppes que tu avais sur tes colonnes centrales et plus en retrait ne sont plus là.. disparues … envolées. On te les a remplacées par des malls, des monstres de la consommation.

Saigon, tu es maintenant presque tendance, ou du moins, tu commences à Voguer. Chloé, Marc Jacobs, Louis Vuitton, Versace, Dolce Gabana sont tes nouvelles marques de prédilection que tu affiches sans complexe! J’ai honte pour toi. J’ai peur.

J’ai le sentiment que tu veux ressembler à un autre et être comme tout le monde. Instinct de survie?

J’aimerais te faire comprendre que Bangkok ou Kuala Lumpur ne valent pas mieux que toi mais je crois que tu ne voudrais rien entendre, que tu as ce réel besoin de devenir comme eux.

Pourquoi ne décides tu pas à rester toi-même, avec ton odeur naturelle de soupe, de fosse, de durian, avec tes pharmacies non climatisées et tes masseurs à la cire chaude dans la rue…?

Pourquoi les autres doivent t’ils toujours s’occuper de ton territoire et essayer de te rendre meilleur ?

Qu’on te laisse tranquille! Tu t’en sortais très bien avant, sans psychologue, sans recherches scientifiques poussées, sans toutes ces marques!! J’en suis malade.

En tous les cas, je ne me fais plus alpaguer autant qu’avant. T’aurais je apprivoisé? Peut être que les taximotos décèlent en mon pas determiné et entrainant que je te connais. Mais ai-je vraiment un abord différent de la marche curieuse et hésitante du touriste émerveillé?

Il y a deux ans, tu étais comme mon mentor, mon patron que je respectais. Et c’est vrai, j’essayais de me rapprocher de toi et de te séduire par ma différence.

Serait-ce à cause de gens comme moi que tu es devenu ce que tu es? Tu t’es rendu compte qu’il fallait changer les choses, croyant nous satisfaire, nous combler, nous montrer que tu n’ étais pas si différent des autres? Mais je t’aimais.

C’est vrai que tu m’exaspérais parfois à ne pas être dans la norme, à ne rien comprendre, à tout faire à l’envers, à innover … vers le bas.

Ce n’est pas pour autant que je ne t’aimais pas. Au contraire, tu m’attirais, m’excitais, me surprenais, me rendais dingue. Je ne me retrouvais pas en toi, et c’est justement cela qui m’aidait à me trouver.

Que te reprocher aujourd’hui? D’avoir changé pour faire plaisir aux autres, pour te sentir mieux? D’avoir élargi ton cadre social, politique et économique? De continuer à préserver un temps soit peu ce mélange de culture personelle et d’ouverture à l’autre?

Je n’ai pas le droit de t’en vouloir mais dieu ce que c’est dur de te voir changer. Je suis égoïste. J’aimerais que tu restes comme je t’ai connu, avec tes faiblesses qui me faisaient fondre, et ton incapacité à rentrer dans la norme qui me frustraient!

Je crois qu’il serait bon que je te dise « bravo! ». J’ai honte de ne plus t’aimer comme avant alors que tu as grandi, les gens t’aiment et veulent de plus en plus te connaitre. Je sais que ce n’est pas contre moi mais pour toi. Et tu as raison, si j’étais une ville, j’aurai fait pareil.

Je t’ai aimé comme tu étais, j’apprends à t’aimer autrement. Tu m’as beaucoup appris. Grâce à toi j’ai pris goût à la découverte et tu m’ as offert une soif de vivre.

Tu as été mon premier amour. Tu sais ce que cela représente pour moi.

Saigon, je t’aime.

Le blog de Pénélope

3 Comments
  • Benoît
    Posted at 17:44h, 09 septembre Répondre

    Bravo c’est magnifique. Bien que je ne connaisse pas du tout Saigon, le poème fait son impression et me rappelle mon impression sur certains ex-coins perdus de Corse.

  • SUBIN
    Posted at 22:41h, 11 octobre Répondre

    Elle est magnifique cette lettre, je suis assez impressionné par ses mots & ses sentiments pour Saigon, Bravo pour l’auteur !!!

  • fanny
    Posted at 20:33h, 12 octobre Répondre

    Et bien moi qui n’ai pas revu saigon je conserve mon image d’epinal.. en sachant bien qu’elle est nostalgique, sublimée par le temps, enrobée de souvenirs.. Je rêve de revoir Saigon, mais je sais que plus la vie avance, moins je ne la reconnaitrais..
    Bien heureuse en tout cas d’avoir partagé un petit bout de cette vie avec toi!

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